Salut Cécile,
CCLEMENT a écrit :Comme je lis la définition que l'IA de Google propose Jean-Philippe, je sens bien que, en tant que conjointe, je suis en pleine phase de négociation interne avec la maladie : il y a des jours où je me dis "je suis prête à vivre avec" et d'autres où j'ai l'impression que notre vie va être horrible, qu'évidemment notre fils va lui-même développer la maladie, que l'état de mon conjoint va se détériorer rapidement, que "pourquoi nous, alors que tout allait bien ?"
Alors
D'abord, évidemment que tu es toi aussi en train d'essayer d'avaler un trop gros morceau. Mais il ne faut pas forcément trop en faire. Le coup de s'assurer tous les matins que ton mari a bien pris sa vitamine D, ça fait un peu garde-malade, ça lui fait donc bien prendre conscience de la présence de sa maladie, pour une efficacité assez aléatoire. Cette attention exacerbée peut avoir un impact sur la façon dont il va réussir à gérer la bête. Pour info, je n'ai quant à moi jamais ressenti le besoin de me supplémenter en vitamine D et en ce moment, c'est même ma femme qui en fait une cure. Le monde à l'envers

. Mais je vis beaucoup au grand air, j'ai la peau bien tannée par le soleil, donc je me dis que ça doit suffire.
Il est vain de chercher une quelconque explication à l'apparition de la maladie. Un jour elle n'était pas là, le jour d'après elle était là, mais nul ne sait ce qui déclenche la sclérose en plaques. Si on sait plus ou moins ce qui peut déclencher une poussée (une infection notamment, on pense également beaucoup au stress bien que ce soit moins net, ainsi que d'autres raisons), on n'a aucune idée de ce qui va déclencher une sep en premier lieu. Quant à la transmission entre ascendants / descendants, il y a certes des formes familiales de sclérose en plaques, il y a certes un (léger) surrisque de développer une sep quand tu as un parent atteint, mais de l'avis général ce surrisque peut être négligé.
En fait, ce qu'on croit savoir sur ce qui va provoquer une sep chez quelqu'un, c'est -- comme pour beaucoup d'autres maladies -- la conjonction de gènes de prédisposition (que, si aucun de ses parents ne les a, le gamin ne risque pas de récupérer) avec des facteurs environnementaux : tu connais déjà le rôle de la vitamine D, c'en est un, il y en a une chiée d'autres, comme l'exposition préalable à un virus donné par exemple, ou encore peut-être une alimentation déséquilibrée. Mais la liste exhaustive est quasi-infinie, de la même façon que pour les gènes de prédisposition : si ça se trouve ton mari n'en a qu'un seul, alors que de ton côté tu en as plusieurs : ce n'est pas parce que tu es porteuse de tel et tel gènes de prédisposition, que tu vas nécessairement développer la maladie.
Si je regarde ce qu'a été mon existence depuis le diagnostic, trente ans de recul donc, je n'hésite pas à affirmer que le diagnostic l'a finalement rendue plus belle, plus riche, plus consciente, plus ouverte au monde. Mais je reconnais tout de même que ma sep m'a fait la grâce, après un démarrage assez intense, de rapidement me laisser tranquille : ce n'est pas tout le monde qui peut en dire autant, loin de là, mais beaucoup peuvent néanmoins le dire. Le problème est qu'il est impossible d'établir des statistiques fiables sur le sujet (et par conséquent d'espérer en trouver, que ce soit sur internet ou ailleurs

) : ceux qui s'en sortent bien finissent par passer sous la couverture radar, ils ne fréquentent plus les hôpitaux, ils ne sont plus suivis en neurologie, comment les statistiques en tiendraient-elles compte ? Un peu de la même façon que les journaux ne parlent pas des trains qui arrivent à l'heure, ça ne les intéresse pas.
Je trouve les inquiétudes professionnelles de ton mari assez justifiées : s'il est heureux dans son boulot, ma foi... Je suis quelque part fermement convaincu (chacun ses croyances obscurantistes) que le stress professionnel intense que je subissais juste avant mon diagnostic a joué un rôle majeur dans l'apparition de la poussée carabinée qui a abouti à ce diagnostic, comme je ne peux pas m'empêcher de penser qu'avoir, ensuite, progressivement dégagé l'essentiel des sources de stress dans ma vie a forcément joué un rôle dans son évolution ultérieure favorable. En vrai,
à l'échelle de chaque patient, il est évidemment impossible de l'affirmer, mais tout autant qu'il est impossible d'affirmer que tel ou tel traitement est efficace sur l'évolution du patient : en effet, dans un cas comme dans l'autre, tenir un tel propos nécessiterait de présupposer un pronostic plus défavorable. Or le pronostic individuel, ... bref

.
La sep, c'est le monde du brouillard. Pas que pour les patients ni leurs proches : pour les neurologues aussi. Seulement, parmi les neuros, tu trouveras ceux qui l'admettront, et ceux qui prétendront que pas. Ceux qui l'admettent sont beaucoup plus dignes de confiance que ceux qui ne l'admettent pas.
J'ai compris que bien qu'il existait des facteurs, cliniques et radiologiques, de bon ou de mauvais pronostic
Ouais... hum. C'est sur le "radiologiques" que je tique. Ca énerve beaucoup de neuroradiologues, qui voudraient absolument pouvoir donner une valeur pronostique à leurs IRM (tu pourras googler l'expression "paradoxe clinico-radiologique" si tu te sens en manque d'internet). Fiente de baleine que tout ça

. Donc oui, c'est le meilleur conseil que je puisse te donner : changer le logiciel. Cela fait partie des choses dont tu pourras parler avec un psychologue, mais encore faut-il qu'il soit conscient de cette énorme inconnue. Or les professionnels de santé, du neurologue au psychologue, montrent volontiers une très fâcheuse tendance à accorder une confiance aveugle aux traitements. Je pense que c'est une erreur, les traitements étant efficaces contre quelque chose de certes très visible, certes très impressionnant (les poussées) mais dont, statistiquement du moins, on se fout pour ce qui est de l'évolution à long terme (voir plus bas).
Prendre conscience de la fragilité de l'existence, n'est-ce pas une condition essentielle pour réellement en profiter ?
Si je me mets à sa place, je suis une conjointe insupportable toujours sur le qui-vive, et à l'affut du moindre nouveau symptôme qui laisserait penser que la maladie progresse, qui lui jette des regards anxieux dès qu'il présente une petite manifestation de fatigue...J'ai conscience que ce n'est évidemment pas de ça dont il a besoin.
Avec la sep, que tu sois sujet à des réminiscences temporaires de symptômes ou à de grosses fatigues, ne dit rien (rigoureusement) de ce que tu seras dans cinq, dix, vingt ans (et au delà). Il faut donc apprendre à lâcher prise. Si la sep de ton mari décide un jour de le mettre à genoux, elle ne se privera pas de le faire, et volontiers sans préavis. Mais peut-être ne le fera-t-elle jamais. Dans l'histoire de l'épée de Damoclès, je ne crois pas avoir lu que le crin de cheval avait jamais fini par se rompre...
Efforce-toi de rester telle que tu étais avant le diagnostic.
Je m'interroge finalement sur le suivi médical de cette maladie. Mon conjoint a eu hier son rdv chez le neurologue (au CHU de Rennes, qui a plutôt bonne réputation pour la SEP), le premier depuis la mise en place du traitement (Kesimpta) en janvier dernier. Je suis assez étonnée du déroulement de ce rdv : pas d'examen clinique, deux nouvelles "petites" lésions cérébrales dans une zone asymptomatique qui n'inquiètent pas a priori la neurologue, et qui s'expliquent pour elle par le délai entre la dernière IRM (octobre 2024) et la mise en place du traitement (Janvier 2025). Et prochaine IRM dans un an seulement !
Les IRM sont très utiles pour le diagnostic. Ensuite, mon point de vue personnel à moi que j'ai, c'est qu'elles ne servent plus à rien. Il s'est écoulé cinq ans entre ma première IRM, celle de mon diagnostic, et la suivante... celle d'un deuxième diagnostic, parce que ça se passait dans un autre pays. Et trois ans pour celle d'après, qui se passait encore dans un autre pays, donc troisième diagnostic (tu noteras en passant que la sep n'empêche pas de voyager). La sep n'est de toute façon pas une maladie de l'urgence, les traitements ont l'efficacité qu'ils ont (c'est à dire : modeste), à quoi bon faire des IRM tous les six mois ? La dernière IRM cérébrale que j'ai faite remonte à plus de neuf ans et encore, pour une affaire qui n'avait rien à voir avec ma sep.
Je suis plus chagrin par l'absence d'examen clinique, qui aurait pu objectiver une éventuelle évolution (ou régression) des symptômes. Mais bon, pour l'instant les symptômes de ton mari me semblent exclusivement sensitifs, et le sensitif est quasi impossible à objectiver à l'examen clinique.
Elle présente le Kesimpta comme ayant un taux d'efficacité de 99%. Je ne suis pas allée vérifier mais ça me semble beaucoup.
Ah bon ?
L'ofatumumab (principe actif du Kesimpta) est un anticorps monoclonal relativement récent dans la prise en charge de la sep, on a peu de recul à son sujet : il n'a son AMM que depuis quelques années (2021 ?), or quatre ans dans une maladie qui va évoluer sur plusieurs décennies comme l'est la sep, c'est (je suis sûr que tu en avais déjà l'intuition)
que dalle. Comme il s'agit d'un anticorps monoclonal, il est sans doute incroyablement efficace (je ne vais pas vérifier, mais 99% ne me paraît pas aberrant) pour réduire à peau de chagrin le risque de poussée tout autant que celui d'apparition de nouvelles lésions à l'IRM. Il a probablement une certaine efficacité pour réduire
un petit peu la progression du handicap à long terme (pour l'instant on n'en sait rien, vu que pas le recul suffisant, mais on peut raisonnablement le supposer), mais après vingt ans de maladie, à deux ou trois ans près ton mari se retrouvera au même stade, que celui-ci soit pimpant ou grabataire, qu'il ait pris le traitement toute sa vie ou rien pris du tout pendant ce temps.
Les poussées de sep sont pénibles, certes, mais en général on en récupère bien, surtout en début de maladie : leur rôle est
mineur dans l'accumulation d'un handicap éventuel sur le long terme. Lutter contre les poussées, ce que font très bien les traitements actuels (et ce que fait brillamment l'ofatumumab avec ses 99%), n'a donc, de la même façon, qu'un rôle tout aussi mineur dans l'accumulation du handicap sur le long terme. Or l'accumulation du handicap au fil du temps est bien la seule chose qui nous intéresse, non ?
En fait, dans la sep tu as deux composantes, une composante inflammatoire focale aiguë (les poussées, qui peuvent être très impressionnantes mais qui seront suivies de rémission) et une composante neurodégénérative beaucoup plus sournoise, qui bien qu'étant déjà à l'œuvre dès le déclenchement de la maladie, va rester invisible (asymptomatique) pendant des années. C'est essentiellement cette composante neurodégénérative qui va, au fil des années, finir par provoquer un handicap permanent. Aucun traitement actuel n'a pour l'instant montré la moindre efficacité contre cette composante neurodégénérative. Tu t'interrogeais d'ailleurs sur un éventuel passage en progressive de ton mari : pour une sep qui commence sous la forme rémittente, au fil du temps les poussées vont naturellement s'espacer, puis disparaître (naturellement : même si tu ne prends pas de traitement). Toujours au fil du temps, le lent travail de sape de la neurodégénérescence pourra finir par faire apparaître de nouveaux symptômes, qu'on ne pourra pas attribuer à une quelconque poussée. C'est l'objectivation de cette apparition de nouveaux symptômes indépendants de toute poussée (en général, ça prend facilement un an d'observation pour être sûr) qui permettra d'avancer un diagnostic de forme progressive. La frontière est floue : tu l'avais déjà compris.
Je suis donc partagée : j'ai envie de faire confiance, de me dire que tout va bien se passer, de ne plus y penser et de "vivre la vie normalement" comme le conseille la neurologue. D'un autre côté, tout ce que j'ai lu sur le sujet me laisse penser que les choses ne sont pas si simples que ça. Enfin peut-être qu'elles le seront ... ou peut-être pas ... On en revient toujours à la question de la gestion de l'incertitude !
Tant qu'il n'existera pas de traitement efficace contre la composante neurodégénérative de la sep, l'incertitude continuera à régner.
Le conseil de vivre normalement est cependant le meilleur qu'on pouvait vous donner, à toi et à ton mari. Avec la sep, vous prenez (violemment) conscience de la fragilité de l'existence, mais cette fragilité est universelle, elle touche chaque être humain. Je crois sincèrement qu'on ne peut vivre pleinement qu'en étant conscient de cette fragilité.
Mébon, dans ton cas ça implique de toute évidence un changement de logiciel
Tu en es capable !
A bientôt,
Jean-Philippe