Hum, Kof (je me racle la gorge)
Je vais essayer de synthétiser tout ça, mais ce n'est vraiment pas simple.
A l'origine est la constatation que la sep va, au fil du temps, provoquer un handicap qui ira croissant.
Aujourd'hui, on précise la chose et on pense de plus en plus qu'il y a deux composantes distinctes de la sep qui entraînent ce lent accroissement du handicap :
- la Composante Inflammatoire Aiguë, qui s'exprime sous la forme de poussées, qui provoqueront des lésions et éventuellement des symptômes, qu'on appelle RAW pour
Relapse Activity Worsening (en français on dirait donc CIA
). Celle-ci, tout le monde voit à peu près de quoi il s'agit : le sépien connaît une poussée, dont il va récupérer plus ou moins complètement. En cas de récupération non complète, on tend à attribuer l'augmentation du handicap qui en résulte à RAW (ce qui à mon avis est déjà fort discutable, voir plus bas) ;
- la Composante Neurodégénérescente Diffuse (qu'on appelle PIRA, pour
Progression Independent of Relapse Activity), qui commence dès le tout début de la maladie, qui se traduit par une mort des neurones plus rapide chez les sépiens que chez les "sujets sains", mais qui nécessitera de toute façon plusieurs années avant de se traduire par des symptômes. La raison de ce décalage entre le déclenchement de la neurodégénérescence diffuse et l'apparition des premiers symptômes est supposée être la plasticité cérébrale : quand un neurone meurt, ce qui arrive donc à tout le monde, le cerveau bascule automatiquement vers les échappatoires qu'il va trouver, et au début de la maladie il n'en manque pas ; ce n'est qu'une fois que la neurodégénérescence aura atteint un certain seuil, c'est à dire après plusieurs années, que les échappatoires commenceront à manquer et que les premiers symptômes imputables à PIRA apparaîtront.
PIRA étant un processus diffus, qui s'inscrit sur le long terme, ses manifestations ne sont pas impressionnantes, ce n'est pas comme celles d'une poussée violente qui va faire passer en vingt-quatre heures un patient initialement asymptomatique à l'état de légume ; en particulier au début de la forme de sep la plus fréquente, rémittente, PIRA est totalement invisible, aussi bien pour le patient que pour l'examen clinique, invisibilité qui va donc perdurer pendant des années et des années (notez cependant qu'on peut plus ou moins mesurer le rythme de progression de PIRA à l'IRM -- à condition de s'en donner la peine : la façon la plus commode consiste à mesurer l'évolution au fil du temps du volume cérébral à l'intérieur de la boite crânienne, bref). Un jeune patient sep, fraîchement diagnostiqué d'une forme rémittente, aura donc tendance à ne penser qu'aux poussées (RAW) et fera peu de cas de PIRA, vu que son neuro ne va pas forcément lui en parler -- la notion est d'ailleurs tellement nouvelle que je ne sais même pas quelle proportion des neurologues en ont déjà entendu parler, ni combien la tiennent pour pertinente (on peut en avoir entendu parler mais l'avoir écartée d'un revers de la main, c'est fréquent avec les nouveautés
). Notre jeune patient sep oublie simplement qu'il pourra récupérer totalement de ses poussées même les plus violentes, alors que PIRA est quant à lui un chemin sans retour...
L'essentiel, et de loin, de la progression du handicap imputable à la sep serait à mettre sur le dos de PIRA. RAW serait, de son côté, certes susceptible de provoquer du handicap, mais la proportion de ce handicap provoqué par les poussées vs. celle imputable à PIRA, au fil des années et des études, tend à se réduire de plus en plus à peau de chagrin. Dit plus clairement : ce n'est pas parce qu'on fait une poussée à l'issue de laquelle on note une aggravation du handicap, que cette aggravation serait nécessairement à mettre sur le dos de RAW ; l'inflammation pourrait alors simplement jouer le rôle de
révélateur d'une photo qui était déjà prise avant la poussée. Ce qui expliquerait notamment pourquoi on récupère beaucoup mieux des poussées quand on est jeune et en début de maladie (zéro dégénérescence), qu'après dix ou quinze ans de sep (dégénérescence déjà bien installée).
Notez bien mon emploi fréquent du conditionnel
.
Toutes les formes de sep (latente, rémittente, primaire progressive, secondaire progressive) peuvent être modélisées en affectant un paramètre "d'intensité" à RAW, et un autre à PIRA :
RAW -, PIRA - : forme latente (aucune expression symptomatique au cours de la vie du patient)
RAW +, PIRA - : forme rémittente pendant toute la vie du patient (avec des poussées qui tendront naturellement à disparaître au fil des années)
RAW -, PIRA + : forme primaire progressive
RAW +, PIRA + : forme rémittente suivie d'une forme secondaire progressive
Que l'activité de RAW soit importante ou faible est finalement sans grande importance, son impact principal sera d'avancer la date du diagnostic de sep. L'activité de PIRA est beaucoup plus redoutable.
Comme il a déjà été dit, les traitements de fond actuels ne revendiquent d'efficacité que contre RAW, pas contre PIRA.
Bonne digestion
JP.