Les ruptures d’approvisionnement
Posté : 15 mars 2014, 17:14
Les ruptures d’approvisionnement : une préoccupation grandissante
Drug supply disruptions: a growing concern
R. Bordet
Service de pharmacologie hospitalière, faculté de médecine, pôle recherche, CHU de Lille
Il y a quelques mois, La Lettre du Neurologue m’interrogeait sur les ruptures d’approvisionnement des médicaments, pour lesquelles les praticiens sont souvent interpellés par des patients en plein désarroi. Quelle gageure que de lutter au quotidien contre l’inobservance, dans des pathologies aussi sensibles que l’épilepsie ou la maladie de Parkinson ou dans la prévention primaire ou secondaire des maladies neurovasculaires, et d’être confronté à une impossibilité de prendre un traitement faute d’approvisionnement. Le pharmacologue médical que je suis était cependant bien en peine de proposer des réflexions et des solutions intelligentes face à un problème éminemment pharmaceutique. Fort heureusement, l’actualité est venue m’aider puisque, il y a quelques semaines, le problème a été mis sur la place publique.
On s’est alors rendu compte qu’il ne s’agit pas d’une question subalterne, car, si l’Agence nationale pour la sécurité du médicament (ANSM) ne recense que 45 spécialités régulièrement en pénurie, l’Ordre national des pharmaciens estime, grâce à l’utilisation d’un logiciel dédié à l’évaluation des ruptures de stock, que plus de 500 spécialités sont souvent en difficulté d’approvisionnement. Les médicaments du système nerveux central occupent une place importante, près de 20 % dans les chiffres de l’ANSM.
L’Ordre national des pharmaciens (Ruptures d’approvisionnement. Analyse et réflexions de l’Ordre national des pharmaciens, octobre 2012) et l’Académie nationale de pharmacie (Médicaments : ruptures de stock, ruptures d’approvisionnement, séance du 24 avril 2013) ont identifié plusieurs causes.
➤➤ La demande de médicaments qui a augmenté plus vite que les capacités de fabrication, notamment avec l’arrivée sur le marché des pays émergents.
➤➤ Le délai de fabrication des produits finis et les pénuries de matières premières.
➤➤ La fusion des entreprises qui aboutit à une concentration de la production, qui se fait alors en flux tendu.
➤➤ Une extension des indications et des utilisations de certains produits.
➤➤ Des exigences renforcées par les autorités de régulation, même si elles sont justifiées pour des raisons de sécurité.
➤➤ L’arrêt de la fabrication, par certains laboratoires, de médicaments devenus non rentables.
➤➤ Des pratiques de distribution visant une rentabilité maximale, avec limitation des stocks.
Au-delà des ruptures ponctuelles qui ont toujours existé en raison d’aléas (informatique, panne du procédé de fabrication, catastrophe naturelle, etc.), il semble donc exister des raisons structurelles qui sont liées aux nouveaux modèles économiques de l’industrie du médicament. Mais ces évolutions économiques et financières − qui peuvent avoir des conséquences graves pour les malades − nous rappellent ce que nous avions peut-être perdu de vue, à savoir que le médicament n’est pas un produit comme les autres ! Les enjeux économiques et financiers peuvent-ils s’appliquer quand la santé publique est en cause ? La puissance publique doit jouer un rôle prépondérant dans la régulation de ces activités, la production du médicament ne pouvant être laissée aux seules règles du marché économique et financier..
Finalement, cette question de la rupture d’approvisionnement, qui pouvait paraître initialement anecdotique, révèle des enjeux majeurs en termes de politique du médicament et de santé publique. Pourvu que le sens collectif l’emporte au bénéfice de la sécurité de nos patients !
Drug supply disruptions: a growing concern
R. Bordet
Service de pharmacologie hospitalière, faculté de médecine, pôle recherche, CHU de Lille
Il y a quelques mois, La Lettre du Neurologue m’interrogeait sur les ruptures d’approvisionnement des médicaments, pour lesquelles les praticiens sont souvent interpellés par des patients en plein désarroi. Quelle gageure que de lutter au quotidien contre l’inobservance, dans des pathologies aussi sensibles que l’épilepsie ou la maladie de Parkinson ou dans la prévention primaire ou secondaire des maladies neurovasculaires, et d’être confronté à une impossibilité de prendre un traitement faute d’approvisionnement. Le pharmacologue médical que je suis était cependant bien en peine de proposer des réflexions et des solutions intelligentes face à un problème éminemment pharmaceutique. Fort heureusement, l’actualité est venue m’aider puisque, il y a quelques semaines, le problème a été mis sur la place publique.
On s’est alors rendu compte qu’il ne s’agit pas d’une question subalterne, car, si l’Agence nationale pour la sécurité du médicament (ANSM) ne recense que 45 spécialités régulièrement en pénurie, l’Ordre national des pharmaciens estime, grâce à l’utilisation d’un logiciel dédié à l’évaluation des ruptures de stock, que plus de 500 spécialités sont souvent en difficulté d’approvisionnement. Les médicaments du système nerveux central occupent une place importante, près de 20 % dans les chiffres de l’ANSM.
L’Ordre national des pharmaciens (Ruptures d’approvisionnement. Analyse et réflexions de l’Ordre national des pharmaciens, octobre 2012) et l’Académie nationale de pharmacie (Médicaments : ruptures de stock, ruptures d’approvisionnement, séance du 24 avril 2013) ont identifié plusieurs causes.
➤➤ La demande de médicaments qui a augmenté plus vite que les capacités de fabrication, notamment avec l’arrivée sur le marché des pays émergents.
➤➤ Le délai de fabrication des produits finis et les pénuries de matières premières.
➤➤ La fusion des entreprises qui aboutit à une concentration de la production, qui se fait alors en flux tendu.
➤➤ Une extension des indications et des utilisations de certains produits.
➤➤ Des exigences renforcées par les autorités de régulation, même si elles sont justifiées pour des raisons de sécurité.
➤➤ L’arrêt de la fabrication, par certains laboratoires, de médicaments devenus non rentables.
➤➤ Des pratiques de distribution visant une rentabilité maximale, avec limitation des stocks.
Au-delà des ruptures ponctuelles qui ont toujours existé en raison d’aléas (informatique, panne du procédé de fabrication, catastrophe naturelle, etc.), il semble donc exister des raisons structurelles qui sont liées aux nouveaux modèles économiques de l’industrie du médicament. Mais ces évolutions économiques et financières − qui peuvent avoir des conséquences graves pour les malades − nous rappellent ce que nous avions peut-être perdu de vue, à savoir que le médicament n’est pas un produit comme les autres ! Les enjeux économiques et financiers peuvent-ils s’appliquer quand la santé publique est en cause ? La puissance publique doit jouer un rôle prépondérant dans la régulation de ces activités, la production du médicament ne pouvant être laissée aux seules règles du marché économique et financier..
Finalement, cette question de la rupture d’approvisionnement, qui pouvait paraître initialement anecdotique, révèle des enjeux majeurs en termes de politique du médicament et de santé publique. Pourvu que le sens collectif l’emporte au bénéfice de la sécurité de nos patients !