Salut boubou, je voulais prendre mon temps pour te répondre et moralité, ça a failli passer à l'as
.
Caribou a écrit :La vraie question, c'est de savoir ce qu'on veut laisser en terme de biodiversité (pour rappel, on a déjà tous oublié mais -60% d'animaux sauvages sur la planète en 50 ans, et c'est sans compter tout ce qu'on détruit sans même avoir la chance de connaitre, de découvrir).
Je vais me faire l'avocat du diable, je préfère prévenir à l'avance...
Déjà, du strict point de vue de la logique, si la race humaine disparaît, ou régresse au point de revenir à une sorte d'âge de pierre, alors la notion de l'existence même d'une descendance devient une simple hypothèse de travail parmi d'autres plus vraisemblables, et se soucier de ce qu'on laissera à cette hypothétique descendance devient un souci purement théorique, de forme.
La biodiversité de la terre ne cesse de changer, elle n'a jamais cessé de changer. La biodiversité, à la fin du crétacé, c'était entre autres des ptérodactyles, des brontosaures et des fougères géantes. Il y a quinze mille ans, c'était entre autres des mammouths et des tigres à dents de sabre. Personne ne songe à pleurer la disparition de cette biodiversité-là : que des espèces disparaissent et que d'autres prennent leur place est dans l'ordre naturel des choses, rien n'est éternel. Si l'atmosphère de la Terre se sature en CO2 et se réchauffe, des formes de vie disparaîtront faute d'adaptation, mais d'autres, adaptées à ce nouvel environnement, apparaîtront et prospéreront, comme cela a toujours été le cas : une biodiversité remplacera une autre et si l'homme disparaît, comme le t-rex ou le mammouth ont disparu en leur temps, c'est tout simplement que la Terre n'en voudra plus.
Un argument classique est que "ce n'est pas notre terre, et nous avons la responsabilité de la léguer à nos enfants". A force de réfléchir à cet argument, je pense qu'il est déjà très anthropocentré, en ce sens qu'il s'intéresse, au fond, beaucoup plus à l'avenir de la race humaine qu'à celui qu'il prétend défendre, qui est celui de la planète (il est donc incroyablement égoïste, en un sens). Au delà, il relève de la manipulation, car il tend à présenter les générations futures comme innocentes, et nous, leurs parents, comme par conséquent coupables, forcément coupables. Or nos enfants et nous représentons la même espèce, organisée dans la même société et, à ce titre, sommes porteurs de la même responsabilité collective : la destruction des ressources n'est pas, sauf éventuellement cas extrême (mais même là, je ne vois pas), la faute d'un individu ou d'un petit groupe d'individus, mais celle de l'organisation générale de la société -- organisation de la société que nous léguerons à nos enfants, et que nous avons auparavant héritée de nos parents, qui l'ont eux-mêmes héritée des leurs, et ainsi de suite jusqu'à pas mal de générations en arrière : alors où commence la culpabilité, où se termine l'innocence ? Notre seule culpabilité est d'avoir intégré les valeurs de notre société, or les principes du droit et de la morale (puisque je parle de culpabilité...) se sont toujours définis directement par rapport à une société donnée. Certaines sociétés toléraient très bien l'assassinat...
Quand je pense à la préservation des espèces, je ne peux pas m'empêcher d'en arriver au cas, emblématique à mes yeux, du bouquetin des Alpes. Il y a 200 ans à peine, l'espèce avait quasi totalement disparu, seuls subsistaient quelques rares exemplaires aux alentours de ce qui est aujourd'hui devenu le Parc National du Grand Paradis (Italie). Il faut dire que c'est un bestiau particulièrement peu farouche, qui se laisse volontiers approcher de très, très près, car c'est un tel grimpeur (incomparablement plus agile que le beaucoup plus craintif chamois, par exemple ; le chamois a d'autres qualités, cardiaques en l'occurrence) qu'il sait se jouer d'un coup de sabot d'à peu près tous les prédateurs. Sauf que les armes à feu ont failli avoir raison de lui : quand tu laisses sans broncher approcher à quelques mètres un chasseur armé de son fusil, tu auras beau être meilleur grimpeur que le chasseur, ... il y a des limites à tout
. Le roi Victor-Emmanuel II, parce qu'il aimait bien chasser le bouquetin (ironie de l'histoire...) et qu'il constatait que c'était un animal qui se faisait rare, fit créer sa propre réserve de chasse dans ce coin de la vallée d'Aoste (on arrive alors autour de 1850), avec des garde-chasse qui surveillaient l'évolution de la population et s'assuraient que nul braconnier ne venait. Il y a un peu moins de cent ans, la chasse du bouquetin fut complètement interdite en Italie et en France. Il y a trente ans, le repeuplement était bien parti, mais des bouquetins en France tu en trouvais essentiellement en Vanoise, un peu sur le massif du Mont Blanc, un peu en Chablais et dans les Aravis... (tout ça, Alpes du Nord) mais pas ailleurs, par exemple pas dans le Dauphiné (massifs autour de Grenoble : Chartreuse, Vercors, Belledonne, Ecrins, etc.). Cette absence du bouquetin dans les Dauphiné était encore vraie il n'y a qu'une dizaine d'années en arrière, elle ne l'est tellement plus qu'aujourd'hui, à presque chacune de mes sorties autour de Grenoble j'ai l'occasion d'en approcher de près. Tout n'est donc pas perdu, certaines choses peuvent se corriger et il n'y a pas que des raisons de désespérer.
Puisque j'en suis à parler de la faune alpine, une espèce qu'on croyait pour ainsi dire éteinte y fait depuis quelques dizaines d'années son retour en force, c'est le loup. On peut se réjouir de ce retour en force, comme on peut comprendre la colère des éleveurs qui, en dix minutes d'attaque, voient périr la quasi-totalité de leur troupeau. La cause la plus fréquente de décès dans les attaques de loup, pour un mouton, c'est de tomber d'une falaise dans sa fuite éperdue, et comme par définition le mouton a un comportement très crét^U^U^U grégaire, il suffit qu'un saute, pour que tous sautent derrière lui. Pas de trace de morsure, donc, et va ensuite prouver que c'était la faute d'un loup... sauf que si tu n'arrives pas à le prouver, tu peux attendre un moment le remboursement de tes bêtes.
(Je termine mon introduction à la culture alpine par cette parenthèse sur l'étymologie du terme "Alpes" : une alpe, dans les langues de tous les pays limitrophes, n'est ni plus ni moins qu'un alpage, le pré où l'éleveur emmène pâturer ses bêtes en été. Que les prés soient pâturés est par ailleurs d'une importance cruciale pour la sécurité : un pré pâturé aura de l'herbe plus rase qu'un pré qui ne l'est pas, or une herbe longue se couchera, l'hiver venu, sous le poids de la neige, le tout deviendra glissant, et le risque d'avalanche sera alors infiniment supérieur. Que les éleveurs restent dans les vallées n'est donc pas forcément une solution envisageable...).
Bon, je pourrais parler des jours entiers des Alpes et de mon amour pour elles
. J'en reviens à mes moutons, heu, façon de parler.
L'essentiel de la disparition actuelle de la biodiversité animale touche surtout les insectes, l'exemple emblématique (le bouquetin des insectes...) étant évidemment l'abeille,
dont un grand savant aurait dit que sa disparition entraînerait la disparition de l'espèce humaine à brève échéance. Mais je pourrais aussi parler des papillons : aujourd'hui, à moins d'aller dans des zones reculées, ou dans... des alpages, on ne voit quasiment plus que des papillons blancs (piérides du chou), on n'a absolument plus la diversité que l'on connaissait il y a quelques décennies. Comme pour le bouquetin, je pense qu'il faut trouver à chaque fois la solution au cas par cas, ici (pour l'abeille comme pour les papillons) le problème est avant tout celui des pesticides ; d'autres espèces souffrent de la déforestation ; d'autres souffrent de l'éclairage nocturne ; etc. : il n'y a pas une solution unique, le problème dépend de chaque espèce menacée.
Tu posais une "vraie question", je vais en poser une autre : qui doit-on croire sur ces sujets ? Doit-on croire les pouvoirs publics, par exemple ? Chat échaudé craint l'eau froide : en France, le citoyen s'est fait niquer dans les grandes largeurs par le "bonus-malus écologique", auquel presque tout le monde a pourtant applaudi en son temps, et qui n'était en fait qu'une mesure de dumping fiscal déguisée pour favoriser les constructeurs automobiles français, alors champions du monde du petit moteur diesel (dont il est vrai qu'il émet moins de CO2, mais plus de tout le reste), ceci expliquant cela. Nombre de clients-électeurs-contribuables ont joué le jeu, ils ont acheté jusqu'à plein de petites citadines diesel (et françaises), ce qui en terme de pollution se posait là, mais en faisant ça ils croyaient sincèrement bien faire. Aujourd'hui, on leur explique que le diesel c'est pas bien, et que par conséquent on en augmente les tarifs. Seulement on maintient le bonus-malus écolo, qui de facto favorise toujours le diesel : on marche sur la tête. Histoire de dépasser le paradoxe, on voudrait aujourd'hui leur faire acheter des véhicules électriques, "propres". Propres, il faut le dire vite : sans m'attarder sur la pollution provoquée par l'extraction des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries, ni à celle provoquée par leur recyclage (et pourtant on aurait de quoi en discuter un moment), ces véhicules émettent toujours leur lot incompressible de microparticules, par la simple usure des pneus et des plaquettes de frein -- deux sources majeures de microparticules automobiles, dont personne ne parle. Et comme en plus, poids des batteries oblige, ils sont sensiblement plus lourds que leurs équivalents en motorisation essence, bin au kilomètre parcouru, de ces microparticules, ils en émettent plus. Pas grave, l'avenir est dans la voiture électrique... Jusqu'au prochain réveil.
Comme l'a observé Hulot en collant sa démission à Macron, il était impuissant face au poids des lobbys. Et aujourd'hui, ces lobbys veulent clairement te faire acheter une voiture électrique.
Et pendant ce temps, l'insurrection monte à Paris. On vit une époque formidable.
A bientôt,
JP.